Les pierres blanches de la chapelle Saint-Michel connaissent bien notre village : elles forment le plus ancien monument encore conservé et se trouve sur le site qui a donné naissance à Cabannes. Evoquer l’histoire de cette chapelle, c’est donc raconter Cabannes et les Cabannais au-delà du temps présent.
La chapelle Saint-Michel est placée à l’intersection de deux antiques voies romaines :
celle venant de Saint-Remy de Provence par Verquières, chemin des Vignes, et celle allant de Marseille à Lyon, chemin vieux de Saint-Andiol. Léopold Videau rapporte que des pièces romaines ont été retrouvées sur le site. Ainsi un temple Romain et une maison d’étape s’élevaient peut-être à cet endroit.
Le village de Cabannes dépendait vers l’an 1000 de l’abbaye de Montmajour, plus précisément de l’infirmerie de ce Monastère. La « Villa de Cabanis » fut érigée en paroisse dans la seconde moitié du 12° siècle et dotée d’un service religieux assuré par les moines de Montmajour. Ces faits, ainsi que la comparaison avec les autres chapelles romanes des environs, invitent à penser que la chapelle Saint-Michel fut construite dans la seconde moitié du 12° siècle.
La chapelle répond aux caractéristiques des chapelles rurales romanes de la Provence.
La partie datant du 12° siècle regroupe l’abside et la nef ; l’avant porche ne date que de 1732 comme en témoigne l’inscription au dessus de la porte d’entrée. L’abside est triangulaire à l’extérieur et semi-circulaire à l’intérieur : c’est la partie la plus sacrée, le chœur de la chapelle. La nef rectangulaire, sans chapelles latérales ni bas-côtés, comme de coutume dans l’architecture romane provençale, est renforcée à l’extérieur par deux contreforts de chaque coté. Les fenêtres et la porte d’entrée étaient plein sud à cause du mistral si violent : les fenêtres actuelles ne sont pas celles d’origine qui devaient être très étroites et l’ancienne porte d’entrée se voit encore à l’extérieur de la chapelle, sur le mur sud.
La couverture de la chapelle était entièrement constituée de lauzes, plaques de calcaire : aujourd’hui, seuls l’abside et le sud-est de la toiture sont recouverts de lauzes car le toit a été refait au 17° siècle. Enfin, signalons que toute cette partie est construite en magnifiques pierres d’Orgon, superbement taillées : ces pierres étaient charriées sur la Durance, puis acheminées jusqu’à la chapelle par le chemin du Devens. Cette petite chapelle servait d’église paroissiale jusqu’au 13° siècle où fut construite l’église actuelle, beaucoup plus grande et située au pied du château : le village se déplace ainsi de quelques centaines de mètres.
Désormais, la chapelle est hors de l’enceinte, à quelques pas de la porte d’Orgon mais à l’écart du village : peu à peu, elle est vouée à l’abandon. Un acte de 1466 révèle que l’espace entre la porte d’Orgon et la chapelle aux alentours de l’actuel Foyer Rural, est une garenne seigneuriale, c’est-à-dire réserve de chasse. La chapelle put alors servir de bergerie, l’actuel cimetière formant un pré. Cependant, si la chapelle est abandonnée, elle reste un lieu important et symbolique pour les Cabannais. En effet, lorsque la communauté passe un acte important avec le seigneur du village, cela se passe devant le portail de la chapelle Saint-Michel, toujours mentionnée comme ancienne église paroissiale.
Le 10 mars 1633, la chapelle vécut un événement inoubliable : la Confrérie des Pénitents Blancs était érigée sous le titre des Cinq Plaies et Béatitudes de Saint-Michel.
La paroisse était alors un prieuré dépendant du chapitre cathédral d’Avignon : l’autorisation de créer la confrérie fut donc accordée par Monseigneur Philonardi, archevêque d’Avignon et vice-légat du Comtat Venaissin. Cette confrérie regroupait des laïcs désireux d’approfondir leur dévotion par la récitation d’offices dans leur chapelle, la participation à des processions, l‘aide aux confrères malades ou pauvres ou l’assistance aux funérailles d’un des leurs, Elle était dirigée par un recteur et un vice-recteur qui s’occupaient tout autant des affaires spirituelles que temporelles. La confrérie confia ainsi en 1634 la restauration de la chapelle à Maurice Chimbes, maçon de Noves : c’est sans doute à cette occasion que les fenêtres furent agrandies, le toit en partie recouvert de tuiles et la porte du sud fermée. En outre, la confrérie payait « Monsieur Osias, curé de l’église de Cabannes » pour qu’il assure des offices dans la chapelle et assiste aux processions des pénitents. Sur requête de la confrérie des pénitents blancs d’Avignon à laquelle était affiliée la confrérie de Cabannes, un avant porche fut rajouté à l’Ouest de la chapelle en 1732 pour servir d’abri et de lieu de repos aux pénitents qui se rendait en pèlerinage à la chapelle Saint-Sixte d’Eygalières. Cet avant porche est construit avec des galets de la Durance posés en épis de blé suivant des lignes horizontales : cette technique de construction utilisée dans la région jusqu’au début du siècle est très bien visible de l’extérieur. Dés le 17° siècle, un petit cimetière entourait la chapelle : mais ce fut seulement en 1777 que par mesure d’hygiène, le cimetière qui entourait l’église paroissiale fut fermé et déplacé vers la chapelle pour y rester jusqu’à nos jours. Après une brève interruption pendant la période révolutionnaire, la chapelle abrita de nouveau la confrérie des Pénitents Blancs jusqu’au lendemain de la première guerre mondiale où la chapelle fut peu à peu abandonnée.
En 1789 la chapelle abrita les assemblées qui se chargèrent de la rédaction des cahiers de doléances. Puis le 14 avril 1791, se forma la « Société des Amis de la Constitution » qui avait son siège et se réunissait dans la chapelle et le conseil communal y tenait souvent séances.
Ainsi la chapelle apparaissait comme le seul lieu apte à recevoir l’assemblée des habitants de Cabannes ailleurs qu’au château propriété seigneuriale, et qu’à l’église propriété cléricale. L’avant porche offrait aux assemblées de la population un bâtiment spacieux et la chapelle fut en quelque sorte la première salle municipale de Cabannes !
Après la fin de la confrérie des pénitents blancs, la chapelle tombait en ruine, le toit était éventré, les tombes souillées et chacune des pierres blanches menaçait de s’effondrer… jusqu’à ce que Monsieur Jean Girard, petit-fils du dernier prieur de la confrérie, Monsieur Benoît, s’émeuve et lance en 1974 un appel vigoureux à tous les Cabannais pour qu’ils ne laissent pas ce témoin précieux de leur histoire s’écrouler honteusement. L’appel fut entendu, la chapelle restaurée grâce au travail et au talent des artisans et artistes locaux et, désormais, les pierres blanches de la chapelle Saint-Michel brillent de toute leur candeur.
Mathieu DESACHY
Archiviste-paléographe, ancien élève de l’école Nationale des Chartes
Docteur ès lettres de la Sorbonne directeur de la Médiathèque d’Albi